vendredi 8 août 2025

Grave panique économique à Nouakchott: Affaire des ventes massives de biens immobiliers. Par Pr. ELY Mustapha

 

Depuis plusieurs semaines, Nouakchott est le théâtre d’un phénomène singulier : des ventes urgentes et massives de biens immobiliers de standing, concentrées dans les quartiers les plus prisés de la capitale. Villas, terrains, immeubles, sont proposés à des prix réduits, souvent bien en dessous de leur valeur de marché. 

Ce mouvement s’accompagne de retraits bancaires importants, parfois en espèces, observés dans plusieurs établissements financiers. Les professionnels du secteur confirment une accélération des transactions atypiques, souvent conclues dans la précipitation et sans projet de réinvestissement identifiable. Ces événements, en apparence dispersés, traduisent en réalité un désengagement stratégique d’agents économiques disposant d’actifs importants.

Ce comportement survient dans un contexte politique et économique spécifique. Depuis 2023, le gouvernement mauritanien a engagé une série de réformes visant à renforcer la transparence fiscale, élargir l’assiette de l’impôt, et lutter contre la corruption patrimoniale. Plusieurs dossiers sensibles, touchant d’anciens hauts responsables, sont entre les mains de la justice. L’administration fiscale, encouragée par des bailleurs internationaux et le FMI, a durci ses contrôles. Cette évolution, bien que saluée au plan institutionnel, engendre une réaction de repli parmi les détenteurs d’actifs issus de circuits informels, non déclarés ou suspects. Ces individus, souvent proches de l’ancien pouvoir ou bénéficiaires de privilèges passés, semblent chercher à liquider leurs avoirs pour échapper à d’éventuelles procédures de saisie, de redressement ou de gel judiciaire.

Cette grave  situation des ventes massives et précipitées de biens immobiliers à Nouakchott révèle une panique économique aiguë en Mauritanie, avec des conséquences financières et économiques potentiellement catastrophiques si elle n’est pas maîtrisée rapidement. Ce phénomène entraîne un retrait massif de liquidités hors de la sphère économique nationale. Une estimation prudente indique que si seulement 20% du patrimoine immobilier urbain est liquidé dans la panique, cela pourrait représenter un transfert d’au moins 150 à 200 millions de dollars hors du pays en quelques mois, privant ainsi l’économie de ressources cruciales.

Parallèlement, cette offre brutale et désordonnée de biens immobiliers provoque une chute des prix estimée entre 30% et 50% dans les quartiers clés de Nouakchott en moins d’un an. Cette dévaluation génère un effet richesse négatif qui réduit la consommation intérieure et freine l’investissement privé. De plus, la baisse des prix combinée aux transactions informelles engendre une perte significative des recettes fiscales, notamment sur les impôts fonciers et les plus-values immobilières. Ces pertes fiscales pourraient représenter jusqu’à 5% des recettes fiscales totales annuelles, soit plusieurs dizaines de millions de dollars, compromettant fortement le budget de l’État.

Cette diminution des recettes fiscales, ajoutée à une réduction des investissements productifs, risque d’accroître le déficit budgétaire et de limiter la capacité de l’État à financer les dépenses sociales et les infrastructures. Cette dynamique crée un cercle vicieux qui pourrait accroître la dépendance extérieure du pays et le rendre plus vulnérable aux chocs économiques. Sur le plan macroéconomique, la Mauritanie pourrait voir son taux de croissance fortement freiné, passant de projections optimistes à environ 4,9% en moyenne à un taux potentiellement inférieur à 3% si la panique persiste. Ce ralentissement compromet gravement les objectifs de développement durable.

En outre, la fuite des capitaux pousse les acteurs économiques à fuir les secteurs formels et productifs, freinant ainsi la diversification économique essentielle pour réduire la dépendance aux industries extractives. Cette crise patrimoniale exacerbe également les inégalités sociales, durcit le climat de méfiance envers les institutions et peut générer des tensions sociales et politiques d’une certaine gravité.

L’analyse économique de cette situation s’inscrit dans la théorie de la fuite des capitaux. Selon cette approche, formalisée par Charles Kindleberger, les détenteurs de richesses déplacent leurs avoirs hors d’un territoire lorsqu’ils anticipent une dévalorisation, une crise institutionnelle, ou une mesure de confiscation. Ce mouvement de fuite s’opère par la vente accélérée d’actifs non liquides (comme l’immobilier), la conversion en liquidité, puis le transfert vers des devises fortes ou des juridictions perçues comme sûres. Ce processus, souvent discret, repose sur des anticipations rationnelles. Les agents économiques, selon cette théorie, agissent de manière préventive à partir de signaux faibles, même en l’absence d’annonce officielle de crise. En Mauritanie, le durcissement du climat judiciaire et l’intensification des contrôles bancaires sont perçus comme autant de signaux incitatifs à l’évasion patrimoniale.

L’histoire économique mondiale regorge d’exemples similaires. En Argentine, en 2001, la population a massivement retiré ses fonds en devises et vendu ses actifs lorsque la parité dollar/peso a été menacée, précipitant la crise monétaire. Au Liban, depuis 2019, les élites ont vidé leurs comptes avant même l’instauration officielle des contrôles de capitaux, aggravant l’effondrement du système bancaire. En Tunisie, à la chute du régime Ben Ali, de nombreuses figures de l’ancien pouvoir ont cherché à transférer ou liquider leurs avoirs immobiliers dans un contexte de traque des biens mal acquis. Tous ces cas illustrent le même mécanisme : les premiers à quitter le navire sont ceux qui disposent de l’information et des moyens techniques pour se désengager rapidement.

Les conséquences économiques d’un tel comportement sont multiples et préoccupantes. Sur le marché immobilier, une multiplication des ventes à prix sacrifié provoque une baisse généralisée des prix, ce qui dévalorise les actifs utilisés comme garanties par les banques. Cela affaiblit leur bilan et accroît leur exposition au risque. Sur le plan bancaire, la montée des retraits en espèces peut conduire à des tensions de liquidité. Si la confiance des déposants ordinaires est affectée, un mouvement de panique généralisé pourrait suivre. Par ailleurs, la demande accrue de devises étrangères pour transférer les fonds à l’étranger pourrait exercer une pression sur les réserves en devises de la Banque centrale. Enfin, ces comportements envoient un signal négatif à l’ensemble des acteurs économiques : si ceux qui ont le plus profité du système cherchent à sortir, la crédibilité de la réforme et la stabilité du climat des affaires sont remises en cause.

La réponse de l’État doit être rapide et coordonnée. D’abord, la Cellule nationale de renseignement financier doit traiter de manière prioritaire toutes les alertes liées aux transactions immobilières suspectes et aux mouvements bancaires atypiques. Ensuite, l’administration fiscale doit ouvrir des enquêtes croisées sur les sources de financement des achats immobiliers récents et sur les vendeurs pressés. La Banque centrale, de son côté, doit renforcer les seuils de contrôle sur les sorties de devises et mettre en place une surveillance renforcée sur les opérations de retrait dépassant certaines limites. Il est également nécessaire d’activer les mécanismes de gel judiciaire des avoirs en cas de soupçon fondé. Enfin, une communication officielle doit être assurée pour éviter la propagation d’une panique généralisée.

Ensuite,  la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) a un rôle déterminant à jouer pour éviter une propagation de la défiance au reste de l’économie. Elle doit renforcer la surveillance du système bancaire et analyser en temps réel certains indicateurs clés, tels que le ratio prêts/dépôts (Loan-to-Deposit Ratio), le Liquidity Coverage Ratio (LCR) et le Net Stable Funding Ratio (NSFR), afin de détecter rapidement toute tension sur les liquidités.


Le ratio prêt/dépôt (Loan-to-Deposit Ratio, LDR) est un indicateur financier essentiel pour évaluer la liquidité et l’efficacité de prêt d’une banque. Il correspond au rapport entre le montant total des prêts accordés par la banque et le montant total des dépôts collectés auprès de la clientèle, exprimé en pourcentage. Le Liquidity Coverage Ratio (LCR) est aussi un indicateur réglementaire clé qui fut introduit dans le cadre des Accords de Bâle III pour renforcer la résilience à court terme des banques face aux crises de liquidité. Il vise à garantir que les banques disposent d’un stock suffisant d’actifs liquides de haute qualité (HQLA) pouvant être rapidement convertis en liquidités pour couvrir leurs sorties nettes de fonds prévues sur une période de 30 jours en situation de stress financier. Et enfin, le Net Stable Funding Ratio (NSFR) est un ratio réglementaire introduit dans le cadre des accords de Bâle III, destiné à assurer la stabilité à plus long terme de la structure de financement des banques. Contrairement au Liquidity Coverage Ratio (LCR) qui cible la résilience à court terme sur 30 jours, le NSFR vise à garantir que les banques disposent de ressources stables suffisantes pour financer leurs actifs sur un horizon d’un an. (Voir sur ces sujets mes articles sur mon blog et mes ouvrages . Notamment;  "La banque centrale de Mauritanie", "les finances publiques mauritaniennes", "Fiscalité mauritanienne"  et  "Macrofiscalité mauritanienne".)

Au-delà de l'information fournies par ces indicateurs (très importante surtout dans notre culture de salons de bouche-à-oreille),  des stress tests réguliers doivent être imposés aux banques pour mesurer leur résilience face à des scénarios de retraits massifs ou de chute de la valeur des garanties immobilières. Sur le plan réglementaire, la BCM pourrait également mettre en place des mesures temporaires de contrôle des capitaux, notamment des plafonds sur les retraits et transferts vers l’étranger, accompagnées d’obligations renforcées de déclaration pour les transactions immobilières importantes.

 

Enfin, des mesures techniques doivent être prises, en plus d’être complémentaires, elles viseront à restaurer la confiance des acteurs économiques, stabiliser le marché immobilier et favoriser un développement économique inclusif et durable à Nouakchott. Leur succès dépendra d’une mise en œuvre rigoureuse, transparente et concertée entre le gouvernement, les institutions financières et les acteurs privés.

Renforcement de la transparence et de la digitalisation des transactions immobilières

-          Mettre en place une plateforme numérique officielle de gestion des ventes immobilières, intégrant un système de traçabilité des transactions et des paiements.

-          Estimation chiffrée : Investissement initial de 500 000 $ pour le développement et le déploiement de la plateforme, avec un coût annuel de maintenance de 100 000 $. Cela permettrait de réduire de 40% les ventes frauduleuses et de regain confiance des acteurs.

Mise en place d’un système d’incitations fiscales favorisant l’investissement productif

 Instaurer une réduction temporaire d’impôt sur les plus-values immobilières réinvesties dans des secteurs productifs (agriculture, industrie légère, TIC).  Exemple chiffré : une exonération de l’impôt sur les plus-values pouvant aller jusqu’à 50% pour des réinvestissements sur une période de 3 ans. Cela encouragerait le maintien et la réallocation des capitaux dans l’économie réelle.

 
Création d’un fonds de stabilisation pour l’immobilier de standing 
Ce fonds, alimenté par une taxe modérée sur les transactions immobilières urgentes, financerait des projets de développement urbain et d’infrastructures. Proposition chiffrée : taxer à 2% les ventes réalisées dans les 6 mois, générant un fonds de plusieurs millions de dollars pour des investissements structurants.

Renforcement de la coopération entre l’administration fiscale et la justice
 Utiliser des outils technologiques d’analyse des données pour détecter les connexions entre transactions suspectes et réseaux de fraude.     Ces mécanismes pourraient accélérer les procédures et dissuader la revente rapide d’actifs volatils.

Sensibilisation et engagement des professionnels de l’immobilier.  

Organiser des campagnes d’information sur les risques liés à la vente précipitée et promouvoir des pratiques éthiques dans le secteur.

En conclusion,  on pourra dire que cette affaire met en lumière une réalité profonde : la tension entre la volonté de réforme structurelle portée par les institutions publiques, et les stratégies de préservation déployées par ceux qui ont longtemps profité de l’opacité. Si ces mouvements de capitaux incontrôlés ne sont pas traités avec rigueur, la réforme sera vidée de son contenu, et la confiance dans l’État de droit s’érodera. Inversement, une réaction coordonnée, ferme et transparente peut marquer un tournant réel vers une économie plus formelle, plus équitable, et plus résiliente.

Le choix appartient désormais aux autorités monétaires, fiscales et judiciaires. Avant qu'un Tsunami ne frappe les pouvoirs publics….en espérant qu'un autre non anticipé,  mais écologiquement certain, ne vienne de la mer.

 A bon entendeur…

Pr ELY Mustapha

La malédiction de Sidioca: quand les loups brisent le pacte, le sang les suit. Par Pr ELY Mustapha


Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, dit Sidioca, un soufi paisible, fut propulsé au sommet d’un État miné par les trahisons, les prébendes et les casernes. Il ne portait ni uniforme, ni rancune. Il croyait à la sagesse. Il parlait peu. Il priait plus qu’il ne commandait.

Mais les loups veillaient.

Il leur a tendu la main. Ils l’ont mordue.

Ils l’ont encerclé. Ils ont affaibli son autorité. Ils ont bloqué ses décrets à l’Imprimerie officielle. Ils ont monté les parlementaires contre lui. Ils ont sapé ses alliances. Ils ont semé le doute, utilisé sa famille, sali sa femme. Puis ils ont lancé l’assaut. Le 6 août 2008, Mohamed Ould Abdel Aziz, son propre chef de garde, frappe. Coup d’État. Les communiqués militaires se succèdent. Sidioca est prisonnier.

Ce jour-là, les Mauritaniens ont applaudi.

Mais le pays venait de signer un pacte maudit.

Depuis, le malheur ne les a plus quittés.
 

Dans le Coran, la malédiction touche ceux qui trahissent la vérité, rompent leurs engagements, pratiquent l’injustice ou refusent la guidance.

 
Elle n’est pas symbolique, elle est réelle, destructrice, durable, parfois générationnelle.

Elle frappe les peuples, les chefs, les hypocrites.
Elle ôte la baraka, ferme les cœurs, bloque les issues.

C’est peut-être ce que la Mauritanie a hérité depuis le 6 août 2008.

 

فَبِمَا نَقْضِهِم مِّيثَاقَهُمْ لَعَنَّاهُمْ
“Parce qu’ils ont rompu leur engagement, Nous les avons maudits.”
Sourate An-Nisa, 4:155

Rompre une alliance, une parole donnée ou trahir un mandat est cause de malédiction divine.

Ould Abdel Aziz, le putschiste glorifié, s’est cru invulnérable. Il a gouverné dix ans, en accumulant pouvoir, biens, humiliations. Il a muselé les voix, trafiqué les marchés publics, dilapidé les biens de l’État. Il a piégé l'économie dans un modèle de prédation clanique. Puis est venu le tournant : Ghazouani, son frère d’armes, son successeur désigné, s’éloigne. Le sol se dérobe. La justice se réveille. Le dossier du siècle l’étrangle : le procès de la décennie, 29 milliards détournés. L’ex-président est jugé, condamné, humilié.
Le tombeur de Sidioca tombe à son tour.

Autour, les fidèles d’hier se taisent ou fuient. Le système se fissure. Les affaires s'enlisent. La SNIM vacille. L’État paie des fonctionnaires qui ne travaillent plus. Le chômage explose. Les jeunes fuient par la mer. L’administration pourrit. L'opposition se délite. Le peuple ne croit plus à rien.

Et Ghazouani ? Il tient le trône comme on tient une braise. Chaque décret aggrave une fracture. Chaque remaniement trahit une impasse. Il a hérité d’un appareil vicié. Des fonctionnaires clients. Des généraux rois. Un pays qui a vendu son âme pour une illusion de stabilité.

La malédiction de Sidioca est totale.

Car on n’humilie pas un soufi sans en payer le prix.

Ce président, jugé faible, s’était contenté d’agir selon sa conscience. Il avait tenté d’indemniser les victimes de la déportation. Il avait baissé son salaire de 25 %. Il avait demandé des comptes aux compagnies publiques. Il avait refusé de céder aux clans.
Mais dans un pays dressé sur la prédation, la justice est une hérésie.

Ils l’ont sacrifié.

Et depuis, chaque main qui l’a poignardé saigne à son tour.

Ce n’est pas une croyance. C’est un constat.

Ils l’ont renversé. Ils sont tous tombés.

  • Ould Abdel Aziz : président tout-puissant, aujourd’hui prisonnier condamné.Humilié.

  • Le général Ghazouani : piégé par un régime hérité, bloqué de l’intérieur. Déboussolé.

  • Les parlementaires frondeurs : réduits au silence, minés par leur propre cynisme.

  • Les affairistes de l’ombre : enrichis hier, exposés aujourd’hui.

Même les militaires doutent. Même les barons s'inquiètent. Le pays n’a plus de cap. L’État est devenu un théâtre d’ombres, dirigé par des hommes sans paix, sans vision, sans mémoire.

Le peuple se souvient.

Il se souvient de ce président effacé, moqué, silencieux. Mais il voit aujourd’hui que lui seul avait parlé de justice, de réconciliation, de dignité.

Sidioca n’a pas perdu le pouvoir. Il l’a quitté avec la conscience tranquille.

Ceux qui l’ont pris, eux, l’ont payé.

Et le paient encore.

Pr. ELY Mustapha


Mon ouvrage: Un soufi parmi les loups. (date de publication 2023)

Cet ouvrage est le premier volume d'une trilogie de trois volumes : De Sidioca à Ghazouani.
Le second volume a été aussi publié voir plus bas 




Volume 2 : Aziz l'alter ego





jeudi 7 août 2025

Gouvernement mauritanien : chronique d’une incompétence organisée. Par Pr ELY Mustapha



La Mauritanie traverse une crise structurelle de gouvernance. Les échecs répétés dans la planification, l'exécution et le suivi des politiques publiques témoignent d’une incompétence généralisée au sein du gouvernement. 

Aucun secteur clé n’est épargné.

 L’éducation, la santé, les infrastructures, l’énergie, l’économie et même l’administration sont minés par une gestion hasardeuse, clientéliste, souvent opaque. 

Ces dérives ne sont pas abstraites. Elles se traduisent par un coût économique massif supporté chaque année par les contribuables. En 2024, l’impact cumulé des erreurs, négligences et gaspillages gouvernementaux est estimé entre 245 et 340 milliards d’ouguiyas (MRU), soit jusqu’à 34 % du budget national. Cette estimation tient compte des dépenses engagées pour des projets inutilisables, des pertes liées aux malfaçons, des subventions inefficaces, ainsi que des déficits entretenus par des politiques incohérentes.

Le ministère des Transports et des Infrastructures concentre à lui seul une part importante de ces pertes. Chaque année, entre 65 et 90 milliards MRU sont engloutis dans des projets d’infrastructure mal planifiés, mal exécutés ou inachevés. La route Rosso–Nouakchott, attendue depuis une décennie, reste en partie non livrée. L’échangeur de Dar Naim, fissuré peu après sa mise en service, témoigne d’un défaut de suivi technique. L’aéroport de Néma, rénové à grand frais, n’est pas fonctionnel. Le port de Ndiago, censé renforcer la connectivité maritime, reste sous-utilisé malgré des investissements massifs. La responsabilité directe incombe au ministre en charge, qui n’a pas mis en place un mécanisme de contrôle rigoureux des appels d’offres ni imposé de sanctions en cas de malfaçons. Les bureaux de contrôle sont écartés, les marchés attribués de gré à gré, et les surcoûts acceptés sans justification.

La situation sanitaire du pays est tout aussi préoccupante. Le ministère de la Santé absorbe entre 45 et 60 milliards MRU par an sans parvenir à garantir un accès équitable à des soins de qualité. Les hôpitaux régionaux manquent de personnel, de médicaments et de matériel de base. À Nouakchott, les grandes structures hospitalières souffrent d’un manque d’entretien chronique. L’hôpital Cheikh Zayed connaît des coupures de courant régulières, faute de groupes de secours fonctionnels. Durant la crise sanitaire, des millions ont été engagés dans l’achat de matériel COVID stocké ou inopérant. Le ministère n’a jamais instauré de procédures claires pour la maintenance des équipements ni assuré la formation continue des soignants. L’absence de planification sanitaire pluriannuelle et de gestion décentralisée contribue au délabrement du secteur.

Le ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique enregistre lui aussi des pertes colossales, évaluées entre 40 et 55 milliards MRU par an. Les projets de centrales solaires rurales, financés par des partenaires extérieurs, sont pour la plupart en panne après quelques mois. Les systèmes de pompage d’Aftout El Chargui ne répondent plus aux besoins. Le barrage de Foum Gleita est opérationnel de façon irrégulière. La société nationale d’électricité (SOMELEC) est déficitaire de façon structurelle et subventionnée à perte. Le ministère ne dispose pas d’un plan de maintenance ni d’un dispositif de suivi technique fiable. La décentralisation des mini-réseaux électriques est abandonnée, au profit de projets pharaoniques centralisés qui échouent à fournir une couverture stable et continue.

L'échec du ministère de l'Éducation est manifeste et mesurable. Le coût annuel de l’inefficacité du système éducatif est estimé entre 35 et 50 milliards MRU. Le taux d’abandon scolaire dépasse les 30 % au primaire, en particulier dans les zones rurales. Les examens du baccalauréat de 2024 ont révélé une réussite inférieure à 15 %, un effondrement du niveau scolaire national. De nombreuses écoles n’ont ni mobilier, ni eau potable, ni sanitaires. Des enseignants non formés dispensent des cours sans suivi pédagogique. Le ministère refuse de revoir la carte scolaire, ne pilote aucun plan de redressement et n’a pas actualisé les programmes depuis plus de dix ans. L’éducation, pourtant socle du développement, est livrée à elle-même.


Le ministère de l’Économie et des Finances, censé être le gardien de la rigueur budgétaire, valide des dépenses non conformes et tolère un niveau d’endettement public inquiétant. La dette est passée de 36 % à 72 % du PIB entre 2016 et 2024, sans impact visible sur le développement national. Chaque année, entre 25 et 35 milliards MRU sont absorbés par des mécanismes opaques de gestion des projets, des surfacturations validées sans audit externe, et des fonds d’investissement pilotés en dehors de tout cadre stratégique. Les contrats fictifs sont rarement dénoncés, les détournements budgétaires restent impunis (le plus récent est celui du Ministère des affaires islamiques, parce que juste trop visible et parce qu'il a eu droit au regard - Ô combien rare -  de l'IGE) . Le ministère agit sans transparence et refuse de publier des bilans détaillés accessibles au public.

Le ministère de l'Habitat et de l'Aménagement du territoire coûte entre 20 et 30 milliards MRU par an à cause du désordre foncier organisé. Des centaines de parcelles sont attribuées de façon multiple, entraînant une insécurité juridique permanente. Le cadastre numérique, financé par des bailleurs, n’a jamais été mis en place. L’urbanisation est anarchique, sans voirie ni services publics, aggravant les inégalités sociales. Le ministère ne propose aucun plan d’aménagement réaliste et tolère les occupations illégales et les spéculations foncières entretenues par les réseaux clientélistes.

Enfin, le ministère de la Fonction publique et de l’Administration absorbe entre 15 et 20 milliards MRU par an en salaires fictifs, indemnités indues et dysfonctionnements internes. L’administration mauritanienne reste archaïque, avec des effectifs pléthoriques, des agents fantômes et une absence totale de politique de mérite. Les tentatives de numérisation sont restées sans suite. Les procédures administratives prennent des mois. La corruption à bas niveau est généralisée. Le ministre ne propose aucun plan de modernisation sérieux et s’oppose à toute évaluation externe des ressources humaines.

D'autres  ministères, tels celui de la Défense et de l'intérieur reçoivent des allocations budgétaires, annuelles,  en Milliards de MRU  qu'aucune institution ne contrôle (ni n'ose contrôler) et qui sont gérés dans une opacité totale.

Ces dysfonctionnements multiples ne relèvent pas de simples erreurs. Ils sont le résultat d’un système politique qui entretient l’irresponsabilité. Aucun ministre n’a démissionné, aucun n’a été poursuivi pour négligence ou mauvaise gestion. Les pertes supportées par la collectivité sont immenses. Elles affaiblissent l’économie, aggravent la pauvreté et empêchent tout progrès réel. La Mauritanie mérite une administration compétente, redevable, et centrée sur le service public. Tant que les responsables continueront à échapper à l’obligation de résultat, les citoyens continueront à payer l’addition.

L’incompétence du gouvernement mauritanien :  une stratégie organisée.

Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, l’incompétence du gouvernement mauritanien n’est ni un accident, ni le fruit de simples erreurs de parcours. Elle est volontaire, planifiée, et structurée. Il s’agit d’une stratégie de pouvoir bien rodée, destinée à maintenir une élite au sommet, à étouffer toute opposition, à préserver les privilèges, et à empêcher tout véritable progrès démocratique ou socio-économique. Loin d’être une faiblesse du système, cette incompétence est au cœur de son fonctionnement.

Le premier pilier de cette stratégie repose sur le clientélisme. Les postes de responsabilité dans l’administration, les entreprises publiques ou même dans certains segments de l’armée ne sont pas attribués en fonction des compétences, mais en fonction des allégeances personnelles, tribales ou politiques. Ce mécanisme garantit une loyauté aveugle au sommet de l'État, tout en écartant les profils compétents et indépendants susceptibles de remettre en cause le statu quo. En choisissant délibérément des personnes incompétentes, le pouvoir évite les contre-pouvoirs internes et maintient un contrôle total.

Ensuite, la corruption n’est pas un dysfonctionnement du système ; elle en est la colonne vertébrale. Les détournements de fonds, la surfacturation, les marchés truqués, les postes achetés : tout cela fonctionne comme un vaste réseau d’enrichissement mutuel entre hauts fonctionnaires, hommes d’affaires liés au régime et politiciens. Dans cet environnement, l'efficacité de l'État est perçue comme un danger : un système performant limiterait les opportunités de vol et exigerait de la transparence. C’est pourquoi les institutions sont volontairement affaiblies, et les services publics volontairement laissés en ruine.

Cette stratégie repose aussi sur une impunité totale. Aucune autorité judiciaire ou parlementaire n’a les moyens – ni parfois la volonté - de contrôler les agissements du gouvernement. La justice est instrumentalisée, les médias sont muselés ou achetés, et les rares voix dissidentes sont étouffées, voire persécutées. En l’absence de redevabilité, le régime peut persister dans l’inefficacité sans jamais être inquiété. L’inefficacité devient même un outil de gouvernance : elle favorise la confusion, empêche l’émergence d’alternatives crédibles, et rend le peuple dépendant des faveurs ponctuelles du pouvoir.

Un autre levier fondamental est l’appauvrissement volontaire du système éducatif. En maintenant un enseignement public dégradé, mal financé, et peu qualifiant, le pouvoir s’assure que la majorité de la population reste mal formée, peu consciente de ses droits, et incapable de remettre en question l’ordre établi. Un peuple éduqué serait une menace pour une élite incapable de justifier son monopole sur les richesses et les décisions. Cette ignorance organisée permet au régime de gouverner sans être remis en cause.

Enfin, la marginalisation volontaire de certaines composantes de la population – notamment les Noirs africains, les Haratines, et certaines communautés rurales - constitue un fondement central de cette incompétence organisée. En excluant ces groupes de manière systématique des cercles du pouvoir et de l’accès équitable aux services publics, le gouvernement crée une fracture sociale durable, qu’il exploite pour diviser la population et éviter toute contestation unifiée. Cette exclusion n’est pas un oubli : c’est une stratégie de domination.

Il est donc clair que l’incompétence du gouvernement mauritanien est une construction politique délibérée. Elle sert à protéger les intérêts d’une minorité, à contrôler la population par la dépendance et la peur, et à empêcher toute réforme structurelle. Tant que ce système persistera, aucun développement durable, aucune justice sociale, et aucune gouvernance démocratique ne seront possibles. Il ne s’agit pas de réformer une machine déréglée, mais de démanteler un système consciemment bâti pour échouer - sauf pour ceux qui en profitent.


Pr ELY Mustapha

dimanche 3 août 2025

Joyeux anniversaire, Monsieur le Président. Par Pr ELY Mustapha

Tout va pour le mieux dans la meilleure des Mauritanies possibles

Cinq années se sont écoulées Monsieur le Président. Cinq années de clairvoyance, de fermeté, de gestion exemplaire de vos gouvernements successifs. En cette occasion solennelle, permettez que l’on salue les immenses progrès accomplis par la Mauritanie. Car, à n’en point douter, la Mauritanie d’aujourd’hui rayonne de prospérité, d’égalité et de transparence.

Grâce à la gestion audacieuse de ceux auxquels vous avez confié la gestion des affaires publiques, notre pays a su multiplier les emprunts internationaux à un rythme jamais atteint. Que de prouesses ! Près de 3,8 % du PIB en nouveaux prêts attendus chaque année d’ici 2027 : un record continental !

Et à quoi bon produire ou investir dans une économie réelle, quand on peut faire fonctionner l'État grâce aux crédits du FMI, de la Banque mondiale ou de la Chine ? Les générations futures ne pourront que se délecter à en mourir pour cette dette soigneusement contractée… et si généreusement laissée en héritage.

Il faut saluer la capacité de votre gouvernement à faire durer la pénurie. Qui d’autre que votre gouvernance pouvait transformer la coupure d’électricité en mode de vie ? À Nouakchott, la population vit désormais au rythme des groupes électrogènes. À l’intérieur du pays, des générations apprennent l’art de réviser leurs leçons à la lumière des téléphones portables.

Quant à l’eau potable, bravo ! Car priver des villes comme Nouadhibou ou Sélibaby d’un accès stable à l’eau relève de l’exploit logistique. Organiser la rareté dans un pays désertique, voilà une politique cohérente. Les femmes peuvent désormais passer leurs journées à faire la queue autour de puits, redonnant ainsi un sens communautaire à la soif.

Notre système éducatif est unique au monde. Il enseigne non pas les mathématiques, mais la patience ; non pas la science, mais l’abandon. Quel besoin d’universités modernes, quand des milliers de jeunes peuvent attendre des concours truqués ou de vagues promesses de recrutement ? L’espoir, voilà un bien vaste programme.

Et pour ceux qui songent à partir, le nécessaire les attend : les embarcations de fortune vers l’Europe sont disponibles, car l’État a sagement renoncé à leur offrir un avenir ici.

On accuse l'État de ne rien faire contre les injustices. Quelle erreur ! Il a su conserver avec rigueur les inégalités raciales, tribales et sociales. Haratines, Afro-Mauritaniens, femmes rurales : ils ne se sentent pas seulement exclus, ils sont devenus invisibles. Et l’invisibilité, c’est la paix.

Dans un monde où tout bouge, par des politiques pathologiquement archaïques, on a figé la structure sociale. Stabilité des castes, blocage de la mobilité sociale, consolidation des privilèges : qui dit mieux ?

Au Mali, au Burkina Faso, les groupes armés se déchaînent. Et chez nous ? Ils avancent à petits pas, discrets, presque polis. Ils s’installent sans faire de bruit dans l’est du pays, pendant que nos soldats attendent des victuailles… du carburant ou simplement de la reconnaissance soldatesque.

À l’intérieur, la sécurité est bien pensée : les manifestants pacifiques sont dispersés, les journalistes critiques poursuivis, les blogueurs surveillés. L’ordre règne. Et le silence, plus que jamais, est d’or.

Pendant ce temps, les routes nationales se transforment en couloirs funéraires. Des milliers de Mauritaniens meurent chaque année dans des accidents de la route causés par l’état catastrophique des infrastructures, l’absence de secours d’urgence, et l’indifférence des autorités.

Dans les hôpitaux, les scènes se répètent : des malades meurent à la porte des urgences, faute de moyens, de personnel ou simplement d’attention. Le système de santé, déserté par les compétences, croule sous la corruption et le mépris institutionnel.

Et même en garde à vue, la vie ne tient plus qu’à un fil : des citoyens trouvent la mort dans des commissariats, dans des circonstances toujours floues, souvent couvertes par un silence complice. La banalisation de la violence institutionnelle est devenue norme.

Monsieur le Président, votre entourage est exemplaire : il anticipe l’avenir, s’y prépare, l’investit. Villas à Marrakech, appartements à Istanbul, comptes au Qatar, enfants à Dubaï. ..

On ne gère pas un pays, on le quitte proprement.

Cinq ans, et déjà tant de réussites inversées, tant d’espoirs éteints, tant de records battus à rebours.

C’est cela le bilan : une Mauritanie moderne… dans le renoncement. Un pays résilient, non pas grâce à son gouvernement, mais malgré lui.

Que reste-t-il à fêter ? La dignité d’un peuple abandonné, peut-être. Ou son silence, qui deviendra,  un jour, un cri.

Faîtes, si vous le pouvez,  que cela n'advienne pas. Et si vous ne pouvez pas, au moins vous savez que vous auriez...pu.

وَأَن لَّيْسَ لِلْإِنسَـٰنِ إِلَّا مَا سَعَىٰ
(Sourate ennajm -39)

Joyeux anniversaire, Monsieur le Président.

 Pr ELY Mustapha



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Poésie de la douleur.